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Israël
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monothéisme
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Le Dieu unique Théologie Approfondir “Tu n'auras pas d'autres dieux face à moi... ”
« Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi. Tu ne te feras pas d’idole, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c’est moi le Seigneur, ton Dieu, un Dieu exigeant » (Ex 20,3-5)[1]. Les deux premiers interdits des Dix Paroles sont le résumé le plus clair de ce qui caractérise la religion présentée dans l’Ancien Testament (A. T.). Le premier affirme l’unicité de Dieu (ou de son culte en Israël), le second prohibe toute image du divin. La compréhension unique et « aniconique » (sans représentation imagée) de Dieu dans l’ancien Israël finit par s’imposer de manière universelle en devenant la représentation véhiculée par les religions juive, chrétienne et musulmane. Dans la littérature biblique Dans les Prophètes, vaste littérature historique et prophétique, le lecteur découvre que le dieu d’Israël est aux prises avec de nombreux concurrents, le plus célèbre d’entre eux, Baal, menant la vie dure au culte de Yhwh. Les prophètes dénoncent avec vigueur les pratiques des Israélites et des Judéens qui vénèrent de manière ostentatoire des dieux divers, parmi lesquels… se trouve aussi Yhwh. Apparaît une réalité religieuse complexe dans laquelle la représentation de Yhwh comme divinité unique en Israël est loin d’être partagée. La menace qui pèse sur le « yahwisme » est interne à Israël à un tel point que la fidélité/infidélité envers Yhwh est une clé pour comprendre l’histoire des royaumes d’Israël et de Juda. Dans les Écrits, le lecteur se retrouve dans l’atmosphère du Pentateuque. Dieu y redevient la divinité essentielle et incontestée. Dans les Psaumes, il est le Dieu qu’on loue, qu’on chante et qu’on prie en diverses circonstances. Dans le livre de la Sagesse, il est le Dieu qui a donné un ordre au monde et le sage inscrit sa vie dans la pérennisation de cet ordre ; si la sagesse s’interroge sur Dieu, sur le sens de l’histoire, et le sens de son action et de sa présence au monde, ce n’est pas pour remettre en cause son unicité et sa non-représentation. Les livres de la diaspora, tels Esther et Daniel, illustrent également l’universalité du Dieu d’Israël qui prend soin de ses fidèles en terre étrangère. La menace religieuse n’est plus interne comme dans les livres historiques et prophétiques où Israël est dénoncé pour son infidélité. Dans les Écrits, la menace est externe, étrangère, ce sont les communautés juives qui sont menacées par les autres peuples, les pouvoirs étrangers, et les divinités grecques. Éviter deux a priori Le premier c’est celui de l’unité du Dieu biblique. Pour un lecteur chrétien il va de soi que le dieu qui s’adresse au lecteur depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse est Un et Unique. Or cette représentation n’est pas originelle, elle s’est construite peu à peu au fil du temps, la distinction entre un Dieu unique et des faux dieux est historiquement tardive. Le deuxième a priori est celui de l’étrangeté des autres divinités que la Bible hébraïque évoque. Les dieux, ce sont ceux des autres et des étrangers. Or la frontière entre « dieux des autres » et les « dieux d’Israël » n’est ni évidente, ni claire. Il y a une fluidité des représentations religieuses à laquelle l’Israël ancien n’a pas échappé. La manière de se représenter Yhwh dans une opposition aux dieux étrangers susceptibles de le contaminer s’enracine dans l’image d’un Israël opposé à Canaan. L’opposition idéologique entre yahwisme et polythéisme, entre Israël et Canaan a déformé notre regard sur la réalité religieuse ancienne d’Israël. Il convient donc d’être attentif au langage utilisé. Parler d’idoles à propos des autres dieux, c’est déjà emboîter le pas de certains auteurs bibliques qui ont une visée apologétique ou polémique. Prononcer le mot idole, c’est une prise de position religieuse qui fausse la lecture des textes en émettant un jugement de valeur a priori sur la réalité religieuse des peuples voisins d’Israël. C’est pourquoi il est nécessaire de parler de divinités ou des représentations du divin pour tenter d’en rendre compte avec une certaine distance. L’étude du riche vocabulaire biblique à propos du divin autre que Yhwh permettra de comprendre l’effort théologique des auteurs bibliques pour dire autrement leur Dieu. Notre parcours Pour cela, dans un premier temps, nous proposerons une enquête historique sur l’évolution de la religion d’Israël, dans laquelle s’emboîtent et se chevauchent plusieurs représentations du divin. Attentive aux sources extrabibliques, textes et documents iconographiques, cette enquête aborde également la question de l’» aniconisme » biblique et de l’origine de l’interdit des images. Dans un second temps, nous nous demanderons comment la Bible hébraïque donne à percevoir et parle du monde du divin lorsqu’elle ne parle pas de Yhwh. Deux grandes parties vont donc structurer ce projet. Dans la première, « Les images “historiques” du divin en Canaan au Ier millénaire av. J.-C. » nous verrons ce que disent les sources extrabibliques et les textes bibliques sur la religion en Canaan, depuis l’Israël ancien jusqu’à une époque tardive du Ier millénaire av. J.-C., et cela sur fond des dominations assyrienne, babylonienne, perse et hellénistique. Dans la seconde, « Les images “bibliques” du divin dans l’ancien Israël », nous tenterons de saisir, dans les différents discours bibliques, récits, lois, histoires, prophéties comment la Bible parle des autres divinités.
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